CUT | Le magazine du court métrage
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Les nouveaux "surfers" du cinéma portugais

Les nouveaux "surfers" du cinéma portugais

Les nouveaux "surfers" du cinéma portugais

Cela fait partie des bonnes nouvelles de Lisbonne. Les temps sont durs pour lecinéma d'auteur portugais mais les auteurs, justement, sont là. Le festival du film documentaire Doclisboa (du 24 octobre au 3 novembre) en témoigne : une nouvelle génération de cinéastes et de producteurs est née, dans le sillage de la précédente. "Avec des réalisateurs invités dans les plus grands festivals, comme Pedro Costa (54 ans), João Pedro Rodrigues (47 ans) et Miguel Gomes (41 ans), il y a un regain d'intérêt pour le cinéma portugais. Donc il ne faut pas qu'on s'arrête. On est comme des surfers sur la vague", raconte João Matos, producteur de Terratreme Filmes. A 35 ans, ce sociologue de formation a déjà dix ans de production derrière lui. Des fictions, des documentaires, des films expérimentaux.

Il tend un coffret... Crise ou pas, il avance avec ses cinq associés réalisateurs."Avec son budget de 62 millions d'euros, le dernier Astérix de Laurent Tirard représente six années de financement du cinéma portugais. Ou encore une scène de Matrix à 10 millions d'euros est l'équivalent d'une année de soutien à nos films. Nous, avec cette enveloppe, on va montrer une diversité d'œuvres", résume-t-il.

Terratreme a déjà dans son catalogue quelques films primés, comme Lacrau de João Valdimiro, un réalisateur âgé de 32 ans. Ce "voyage filmé en seize millimètres" a reçu en 2013 la récompense du meilleur long-métrage au festivalIndieLisboa, autre grand rendez-vous du cinéma portugais, et a été sélectionné auFID de Marseille.


Les nouveaux "surfers" du cinéma portugais

SALOMÉ LAMAS, UN NOM À RETENIR

João Matos a également produit le deuxième film de Salomé Lamas, 26 ans, un autre nom à retenir. La roue tourne, semble annoncer cette réalisatrice. Sa frange courte laisse apparaître un regard doux et perçant à la fois. La jeune femme, née en 1987, a étudié le cinéma à Lisbonne et à Prague, puis les arts visuels à Amsterdam. Un père designer, une mère peintre, un autre proche galeriste. Voilà pour l'enfance et l'adolescence, nourries d'expositions et de lectures érudites voire"encyclopédiques", sourit-elle. Il lui a fallu ôter sa carapace, telle Peau d'Ane, pour enfin apparaître telle qu'elle est : cinéaste.

Au festival du film documentaire Doclisboa, jusqu'au 3 novembre, Salomé Lamas a présenté un court-métrage à l'atmosphère énigmatique, Theatrum Orbis Terrarum (23 minutes), où il est question d'expéditions en mer et de territoires enfouis – le film a été tourné sur l'île Berlenga, au large des côtes du Portugal. La comédienne Ana Moreira, à la douceur inquiétante, ajoute au film un souffle fantastique. L'actrice de Tabou, de Miguel Gomes, a travaillé "gratuitement pour une journée". La productrice Joana Gusmao s'est fait prêter la "smoking machine" et d'autres matériels pour une durée de 24 heures. Et le film s'est fait pour 4 000 euros TTC.

Jusqu'au 17 novembre, Theatrum Orbis Terrarum est également diffusé en boucle, sur trois écrans, au musée d'art contemporain du Chiado, à Lisbonne."J'avais besoin de trois projecteurs, le musée n'en avait que deux. Je voulaisrepeindre les murs de la salle en gris foncé. On a fini par y arriver, mais le manque d'argent est partout. C'est à l'image du Portugal aujourd'hui", constate-t-elle.

L'ENSEIGNEMENT COMME "PLAN B"

Au premier semestre 2014, le distributeur Shellac sortira en salles son long-métrage No Man's Land (Terra de Ninguem) – le film a été présenté lors de la dernière édition du Cinéma du Réel, à Paris. Un mercenaire de 66 ans raconte ses souvenirs : les guerres coloniales portugaises, la CIA au Salvador, les commandos espagnols anti-ETA... Le récit s'épaissit, se perd dans la forêt. Le narrateur reste assis, son corps se détache sur un fond noir, dans un dispositif d'une radicale simplicité. "Cet homme nous livre sa vérité. Je ne cherche pas àsavoir ce qui relève des faits exacts ou de la fabrication", explique la réalisatrice, en guise de réponse aux spectateurs déboussolés.

Au Portugal, le film sortira en salles en tandem avec le dernier court-métrage de Miguel Gomes, Redemption. Les deux cinéastes ont en commun le même producteur, Luis Urbano (O Som e a Furia), avec lequel Salomé Lamas prépare son prochain long-métrage qu'elle tournera au Pérou, quand les financements seront disponibles. En attendant, elle prépare une thèse à l'université de Coimbra, sur le thème de "la traduction de la réalité dans le langage cinématographique". Elle ne s'imagine pas professeure à plein temps, mais envisage l'enseignement"comme un plan B". Car, on l'a dit, les temps sont incertains.