CUT | Le magazine du court métrage
CUT | Le magazine du court métrage

Le court métrage en Asie

Le court métrage en Asie: le Japon / interview de Toshiya Kubo, Takashi Homma (festival du court métrage de Sapporo) et Tai Murayama (MTV Networks Japon)

octobre 21, 2011 dans Interviews

Quatrième étape de notre panorama de la situation du court métrage en Asie : le Japon, avec l’interview de Toshiya Kubo et Takashi Homma, du Festival du Court Métrage de Sapporo, ainsi que de Tai Murayama, vice président de MTV Networks Japan.

Pouvez-vous nous présenter le Festival du Court Métrage de Sapporo ?
Le festival célèbre en septembre son troisième anniversaire (en 2008). Nous avons trois compétitions : une compétition nationale, une compétition internationale, et une compétition entre réalisateurs. Cette dernière est la particularité de notre festival : on y récompense non pas un film, mais un réalisateur, pour l’ensemble de son travail. Chaque réalisateur décide lui-même des films qu’il souhaite présenter, et c’est sur cette “rétrospective” qu’il est jugé. Nous sommes partis du constat que dans les festivals, c’est le film plus que l’auteur qui est récompensé. Avec cette compétition plus prestigieuse, et bien sûr plus valorisante pour les réalisateurs, nous souhaitons mettre le réalisateur, en tant qu’artiste, en avant. L’idée d’une compétition dédiée aux films et d’une autre consacrée aux cinéastes nous est venue de l’industrie musicale. En quelque sorte, la première compétition présente des singles, tandis que la seconde présente un album complet.
Nous avons également un marché du film conséquent, et nous organisons un maximum de rencontres entre le public et les réalisateurs.

D’où provient l’argent vous permettant d’organiser le festival ?
Nous recevons de l’aide de la ville de Sapporo, et petit à petit, des sponsors privés viennent également nous financer.

Etes-vous satisfait des deux premières éditions ? Ont-elles été un succès ?
Oui, nous sommes assez contents, nous avons plus de 8 000 spectateurs sur cinq jours chaque année. En terme d’affluence, c’est le premier festival de courts métrages au Japon, et le huitième festival de cinéma en général.

Vous pensez qu’il existe un réel intérêt pour le court métrage au Japon ?
Au Japon, le “Short Short Festival” de Tokyo existe depuis une dizaine d’années. Nous travaillons avec eux depuis la seconde édition, en projetant à Sapporo des films primés lors de leur festival. Après 6 ou 7 ans, nous avons donc décidé de créer notre propre manifestation, afin d’avoir un plus grand contrôle sur la programmation, et d’organiser les choses à notre façon, d’être indépendants. Nous savions qu’il existait à Sapporo un public pour le court métrage. De plus, aujourd’hui, les courts métrages sont de plus en plus différents, de plus en plus créatifs, les gens les voient comme quelque chose de nouveau, et il existe une vraie demande, peut être même commerciale, pour ce format. Le marché du film de Sapporo est le seul qui soit consacré aux courts métrages, mais de plus en plus de compagnies (des opérateurs de mobiles, des chaînes de télévision, des compagnies aériennes…) se montrent intéressées.

Comment le court métrage est-il perçu au Japon ? Est-il vu comme un hobby, un moyen de se faire la main avant de passer au long, ou au contraire comme une forme d’art à part entière ?
Au Japon, on apprécie les courts métrages, notamment parce qu’en y consacrant le même temps qu’à un long métrage, ils peuvent voir de nombreux styles différents. Le succès est donc là, mais les courts sont plus vus comme une distraction. Pour beaucoup, court métrage signifie amateurisme. Ils ne réalisent pas que certains films, comme “Usavitch” sont produits de façon professionnelle, et que derrière ces trois minutes de film, il y a un énorme travail. Il faut du temps pour qu’une nouvelle discipline soit reconnue comme une forme d’art, et le court métrage n’en est pas encore là au Japon. Je pense que la majorité des réalisateurs de court ont dans l’idée de passer au long dès que possible, et voient surtout ce format comme un entraînement et une façon de montrer leur talent. Le problème est qu’au jour d’aujourd’hui, il n’y a pas beaucoup d’argent dans le court métrage, il est donc difficile d’y faire carrière !

Quel style a le plus de succès dans le court métrage ? Qu’est-ce que le public a envie de voir ?
Il y a là encore un parallèle avec la musique. En général, c’est la mauvaise musique qui se vend le mieux, tandis que la bonne musique ne marche pas très bien (rires). C’est pareil avec les courts : certains sont très bons, mais très difficiles d’accès, et n’ont donc pas vraiment de succès auprès du grand public. Ceci dit, il est important que le genre soit très varié, nous avons besoin de styles différents : des films d’étudiants, de professionnels, de l’animation, des documentaires… tout comme il est important qu’il existe des styles de musique différents !

Pensez-vous qu’il existe une touche japonaise dans les courts métrages ? Un style, ou des thèmes qui reviennent régulièrement ?
Je pense que l’animation est un style typiquement japonais ! Traditionnellement, c’est un genre très populaire au Japon, de plus, il nécessite moins de moyens que les films live. Avec un simple PC, quelqu’un de talentueux est capable de réaliser son court métrage d’animation depuis sa chambre !

J’ai été surpris de constater en sélectionnant les courts métrages pour le festival de Lyon que nous ne recevions finalement que peu de films en provenance du Japon. Beaucoup moins en tout cas que de pays comme la Corée par exemple. Comment l’expliquez-vous ?
Ce n’est qu’une question d’argent. L’industrie du cinéma est en bonne santé en Corée. Ils ont des structures solides, de gros studios, de grandes écoles, et ils réinvestissent leur argent, y compris dans les courts métrages. Le système est très différent au Japon. Il n’existe qu’une école publique, les autres sont des écoles privées onéreuses où il est difficile d’entrer. Pourtant, il est difficile d’accéder aux métiers du cinéma sans passer par ces écoles. C’est un système complexe. Le fait d’aller étudier le cinéma à l’étranger est également limité, car peu de japonais savent parler anglais.

Existe-t-il un réseau, une communauté autour du court métrage ?
Non, pas vraiment. Internet permet aux réalisateurs d’être en contact et de créer un “cyber réseau”, mais tout cela manque de concret. En matière de vie artistique, le Japon est très faible. Il y a peu d’initiatives, de structures de type associatif. Nous faisons la confusion entre art et divertissement. Au Japon, c’est l’aspect commercial qui prime. Pour qu’une forme d’art puisse se développer, il faut aussi qu’elle soit rentable. Le contexte japonais est très particulier. Si le succès est au rendez-vous, l’argent suivra, et ainsi le court métrage pourra plus facilement se développer. C’est pourquoi il est important que des films japonais soient projetés dans les différents festivals internationaux, ou que des gens comme vous s’y intéressent. Si les japonais voient que la production de leur pays suscite l’intérêt à l’étranger, ils vont comprendre qu’il y a là un potentiel économique (rires) !

Qui réalise des courts métrages au Japon ? S’agit-il essentiellement de films réalisés par des étudiants ?
Pour donner un ordre d’idée, disons que 5 à 10 % des films sont réalisés par des professionnels, généralement à des fins commerciales, 30 à 40 % par des étudiants (à titre de comparaison, près de 60 % des courts métrages coréens sont réalisés par des étudiants), et le reste indépendamment par des cinéastes amateurs.

Avant de conclure, pouvez-vous nous dire un mot sur la série “Usavich” ?
C’est une série mettant en scène deux lapins emprisonnés en Sibérie, l’un impassible mais capable de colères impressionnantes, l’autre doux et amateur de danse. Chaque épisode dure 90 secondes et les met dans une situation inédite, racontant de façon humoristique leur vie et leurs relation avec la porte/gardien, avec un poussin qu’ils ont adopté, avec une grenouille sortie de leurs toilettes… La série est produite par MTV Networks Japan, à destination des chaînes de télévision et des opérateurs téléphoniques. Elle compte à ce jour deux saisons, et nous travaillons sur la troisième. J’espère que vous aurez l’occasion de les découvrir bientôt en France !

Propos recueillis à l’occasion du 30e Festival International du Court Métrage de Clermont-Ferrand
Février 2008