CUT | Le magazine du court métrage
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La planète Marker en orbite

La planète Marker en orbite

La planète Marker en orbite
La planète Marker en orbite

Tandis que l’intégrale (ou presque) Chris Marker se poursuit au Centre Pompidou jusqu’au 22 décembre, une série d’événements permet à ceux qui ne passent pas par la capitale de partager cette (re)découverte d’une des œuvres les plus riches du siècle passé.

Neuf films de Chris Marker sortent en salle ce mercredi 23 octobre 2013. Aux quatre essais plus ou moins documentaires (Le joli mai, 1962 ; Le fond de l’air est rouge, 1977 ; Sans soleil, 1982 ;Level Five, 1997) s’ajoutent cinq courts métrages, non seulement le mythique La jetée (1962), mais des films rares comme Dimanche à Pékin (1956), Lettre de Sibérie (1958), Vive la baleine, coréalisé avec Mario Ruspoli (1972), et Junkopia (1981). Effet du passage à la projection numérique, tous ces films ont bénéficié du soutien sélectif à la numérisation des œuvres cinématographiques, mis en place par le Centre national du cinéma et de l’image animée. On peut ainsi les découvrir dans leur lustre originel, y compris certains dont Chris Marker avait cru bon d’en interdire la représentation.

Le distributeur de ces films, Tamasa, soutenu, pour l’occasion, par l’ADRC (Agence pour le développement régional du cinéma) et le GNCR (Groupement national des cinémas de recherche) en édite aussi quelques uns en dvd, de même qu’un documentaire de Julien Faraut, Regard neuf sur Olympia 52 (2013), consacré à la genèse du premier long métrage de Marker et aux difficultés rencontrées pour le mener à bout. Dans un échange de courriels avec une admiratrice, Diane Semperel (interprétée par Lénie Cherino), Marker confirme refuser que ce film soit montré : “Je juge trop sévèrement les cinéastes (et pas seulement, les écrivains aussi) qui sur le tard éprouvent le besoin d’infliger aux autres leurs brouillons de jeunesse, pour ne pas tomber dans cette catégorie”. Olympia 52 sera néanmoins projeté au centre Pompidou le lundi 18 novembre à 20h, présenté par Julien Faraut.

Tourné à l’occasion des Jeux olympiques d’Helsinki, il faut entendre le titre comme une réplique au film de Leni Riefenstahl (1936), connu sous le nom Les dieux du stade, mais dont le titre original estOlympia. À la démonstration de force de la réalisatrice fétiche du Troisième Reich, Marker oppose une ode à la paix. Réalisé avec les moyens du bord, ceux de l’association Peuple et Culture en particulier, le film s’immisce dans les interstices laissés par les caméras officielles qui couvrent les Jeux. D’où la place accordée aux tribunes au sein desquelles Marker a malicieusement inséré un plan où son complice Alain Resnais semble attentif à un exploit sportif alors qu’il n’a pas mis les pieds à Helsinki. “Le cinéma est le cinéma” explique Marker.

Fallait-il passer outre les interdits du cinéaste et diffuser le film ? Dans le Regard neuf sur Olympia 52, Arnaud Laporte, dans le rôle du critique, dupliqué à l’image comme dans un miroir, défend, tour à tour, avec la même conviction, des arguments contraires. Dans ce type de discussion, il y a toujours un moment où on évoque Max Brod, l’ami auquel Kafka avait demandé de détruire ses manuscrits. On le sait, heureusement il n’en fit rien. Certains ayants droit ont donc, l’âme sans doute tourmentée de trahir leur serment, décidé de montrer les films dont Marker ne voulait plus entendre parler. Par contre, Laurence Braunberger (Les Films du Jeudi), ayant droit de Cuba si ! (1961) a préféré en refuser la présentation évoquant “une promesse faite à Chris Marker, qui, en étant tenue, maintient un lien vivant et une croyance en des valeurs qui [lui] paraissent plus importantes qu’un film”. N’est-ce pas, d’un certain côté, s’octroyer un pouvoir exagéré ? L’argument se défendrait mieux si le film n’était pas en fait visible sur internet, mais dans des copies calamiteuses. En même temps, empêcher que Cuba si ! soit vu dans des conditions décentes est assez conforme au destin d’un film qui, après avoir reçu le Prix Louis-Lumière en mars 1962, fut interdit par la censure jusqu'en 1963, ce qui agita le monde de la critique, du moins sur son flanc gauche.

Nous avons largement évoqué les nombreux courts métrages de Chris Marker dans le numéro 108 de Bref pour nous contenter de signaler ici la qualité des copies restaurées. On aurait jamais espéré découvrir, dans toute leur vivacité, les couleurs de Dimanche à Pékin et de Lettre de Sibérie, ce film mythique, à propos duquel André Bazin affina sa conception du film essai et dont on ne connaissait, au mieux, que le même extrait (les trois commentaires différents sur la même séquence), dans des copies aux teintes délavées.

Outre ces deux titres, Tamasa édite Level Five (1997), dans lequel une femme, Laura, doit terminer le jeu vidéo que l’homme qu’elle aimait, décédé, a laissé inachevé. Réflexions sur la mémoire, la représentation, ce film questionne l’oubli dont fut frappé le souvenir de la bataille d’Okinawa.

La redécouverte de l’œuvre de Chris Marker ne fait que commencer.